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de venir dîner avec moi. Je loge à l’Hôtel de France, dans la rue de Beaune, à quelques pas d’ici ! »

Sur quoi, alléguant une affaire pressée, il me quitta sans vouloir me dire un seul mot de plus de l’unique sujet que j’avais en tête. Et je crois bien que, pendant les deux longues heures qui suivirent, je détestai le digne notaire plus que je n’avais jamais détesté mon cousin Alain, des griffes duquel il venait, une fois de plus, de me tirer providentiellement.

J’arrivai à l’Hôtel de France à cinq heures et demie. Mais sans doute M. Romaine avait prévu ma précipitation, car il avait donné l’ordre qu’on me fît aussitôt introduire dans le petit salon de l’hôtel. Et ce n’est point M. Romaine qui me reçut, dans ce délicieux petit salon, mais bien ma chère Flora, plus belle que jamais, et qui, avec une impatience égale à la mienne, avait déjà ouvert et refermé vingt fois tous les livres à vignettes épars sur la table.

Je ne répéterai pas au lecteur ce que nous nous dîmes, dans ce salon, pendant une heure qui fut cependant, pour moi, la plus remplie et la plus mémorable de toute ma vie. Peut-être même ne nous dîmes-nous rien, car je me rappelle que la pensée ne me vint pas de m’enquérir des circonstances par suite desquelles ma bien-aimée se trouvait à Paris. J’avais oublié Paris et le reste du monde, j’avais tout oublié, et je fus très étonné lorsque, tout à coup, Flora s’écria :

« Il faut vite aller avertir ma tante !

— Mais, pour l’amour du ciel, Anne, où allez-vous ? » ajouta-t-elle en voyant le mouvement instinctif qui déjà m’avait conduit à la porte du salon.

Et elle éclata de rire ; j’en fis autant, et, pendant un quart d’heure encore, elle tarda à aller prévenir sa tante.

Celle-ci, d’ailleurs, n’attendait évidemment qu’un signal pour faire son entrée. Grave et majestueuse, la tête coiffée d’un immense turban, elle s’avança vers moi, avec le ter-