pris ce qu’il dit, il demande à vous embrasser, ou à vous serrer la main, ou quelque autre sensiblerie du même genre. Est-ce compris ? D’ailleurs voici une liste qu’il nous a fait écrire ; lis-la tout haut, car je n’en viens pas à bout avec vos maudits noms ! et que les hommes nommés répondent présent en allant se ranger contre le mur ! »
J’éprouvai un singulier mélange d’émotions diverses en lisant le premier nom inscrit sur la liste. Je n’avais aucun désir de contempler de nouveau mon malheureux ouvrage : toute ma chair frémissait à cette pensée ; et puis, quel accueil allais-je recevoir ? L’idée me vint de passer ce premier nom et de rester dans le préau. Mais, par bonheur, je ne m’arrêtai pas à cette idée, qui aurait pu me jouer un très vilain tour. J’allai vers le mur désigné, lus tout haut le nom de « Champdivers », et me répondis à moi-même : « Présent ! »
Nous étions une demi-douzaine, en tout, sur la liste. Dès que nous fûmes tous rangés contre le mur, le médecin nous conduisit à l’infirmerie, où nous le suivîmes en file, l’un derrière l’autre. À la porte, il s’arrêta et nous dit que « l’animal désirait voir séparément chacun de nous ». C’était une petite pièce blanchie à la chaux. Une fenêtre, donnant au midi, s’ouvrait sur une perspective immense et lointaine ; et, d’en bas, le bruit des roues montait clairement jusqu’à moi. Sur un petit lit, près de la fenêtre, gisait Goguelat. La vie n’était pas encore entièrement effacée de son visage, mais la marque de la mort s’y voyait déjà. Il y avait dans son sourire quelque chose de sauvage, d’inhumain, qui me saisit à la gorge. Et le pauvre diable semblait avoir honte lui-même de sa voix enrouée.
Il étendit les bras vers moi, comme pour m’embrasser. Et je dus m’approcher de lui, malgré le frisson d’horreur qui me secouait tout entier. Mais il ne fit que coller ses lèvres à mon oreille.
« Aie confiance en moi ! murmura-t-il. Je suis bon bougre, moi ! J’emporterai mon secret en enfer, pour le dire au diable ! »