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pus me résigner à une seconde angoisse : je me reculai.

« Non, m’écriai-je, pas cela ! Ne mettez pas votre main sur mon épaule ! Je ne puis le supporter. C’est un rhumatisme ! me hâtai-je d’ajouter. Mon épaule est enflammée et me fait très mal. »

Chevenix revint à sa chaise, se rassit, et alluma un cigare.

« Je suis fâché de vous savoir malade ! dit-il enfin. Laissez-moi appeler le médecin !

— N’en faites rien, dis-je. C’est une bagatelle ! J’y suis tout à fait accoutumé ! Et puis, je ne crois pas aux médecins !

— Soit ! dit-il. Il resta assis et fuma quelque temps sans rien dire. J’aurais tout donné au monde pour rompre ce silence.

— Eh bien ! reprit-il enfin, je crois qu’il ne me reste plus rien à apprendre ! Je crois que je peux dire que je sais tout !

— Sur quel sujet ? demandai-je héroïquement.

— Sur l’affaire de Goguelat ! dit-il.

— Je vous demande pardon…, je ne saisis pas…

— Oh ! dit le major, la chose est bien simple : cet homme a été frappé en duel, et de votre main ! Je ne suis pas un enfant !

— Non, certes ! mais vous me paraissez être un grand constructeur d’hypothèses ! hasardai-je.

— Voulez-vous que nous mettions mon hypothèse à l’épreuve ? demanda-t-il. Le cabinet du médecin est à deux pas d’ici. Si vous n’avez pas à l’épaule une plaie ouverte, c’est que je me trompe. Si vous en avez une… mais je vous engage à bien réfléchir avant de prendre un parti ! Car il y a un inconvénient grave à ce que nous tentions l’expérience : c’est que, alors, ce qui aurait pu rester une chose privée, entre nous, risque de devenir propriété publique.

— Oh ! dans ce cas, dis-je en riant, tout plutôt qu’un médecin ! C’est une espèce que je ne puis souffrir ! »

Ses dernières paroles m’avaient fort soulagé, mais j’étais encore loin de me sentir tout à fait à l’aise.