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que mon courage ait hésité, défailli, comme cela m’était arrivé déjà en mainte circonstance : je dis qu’il se brisa comme se brise le ressort d’une montre, ou le cœur d’un mort. Sans aucun doute j’irais au bal, le lendemain ; sans aucun doute je m’occuperais, dès ce jour-là, de me louer un costume, car j’ai oublié de noter que le bal devait être paré. Tout cela était résolu ; je savais sans aucun doute que je le ferais. Mais la plupart des boutiques des loueurs d’habits se trouvaient de l’autre côté de la vallée, dans la Vieille Ville : et voilà que je fis l’étrange découverte que j’étais hors d’état de franchir le pont qui y conduisait ! C’était comme si un précipice se fût soudain ouvert entre la Vieille Ville et moi. Mes jambes se refusaient positivement à me conduire plus près du Château d’Édimbourg.

Je m’accusai de superstition. J’organisai des gageures contre moi-même, et je les gagnai. Je descendis sur l’esplanade de Princes’s Street, je m’y promenai de long en large, seul et bien en vue, m’arrêtant parfois pour considérer, par delà le jardin, les vieux bastions gris de la forteresse où tous mes ennuis avaient pris naissance. Et je constatai que je pouvais faire tout cela, avec une certaine sorte de fièvre qui n’était pas déplaisante, avec une certaine crânerie qui me haussait dans ma propre estime. Mais il y avait une seule chose à laquelle je ne pouvais contraindre ni ma volonté ni mes membres : et c’était à franchir la vallée pour passer dans la Vieille Ville. J’avais l’impression que je serais immédiatement arrêté si j’y passais : y passer signifiait pour moi me plonger dans les ténèbres d’une cellule de prison, avec la corde et le bonnet de pendu pour le jour suivant. Et je dois ajouter que ce n’était nullement, d’ailleurs, la crainte de ces conséquences qui m’empêchait d’avancer ; non, j’étais simplement hors d’état de le faire !

Mes nerfs avaient décidément cédé : fâcheuse découverte pour un homme dans un péril aussi imminent, acculé à un jeu aussi désespéré, pour un homme dont l’unique