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— Et vous voulez que je perde ma place ici, avant même de vous avoir dit mes bonnes nouvelles ? m’écriai-je. Mais, au fait, que sont toutes les bonnes nouvelles du monde, en comparaison de celle qui me tient au cœur et que j’attends que vous me répétiez ? Il n’y a qu’une seule chose au monde que je me soucie d’entendre ; laissez-moi l’entendre encore avant de vous quitter !

— Oh ! mon cher Anne, soupira-t-elle, si je ne vous aimais pas, serais-je aussi malheureuse que je le suis ? »

À peine m’eut-elle dit cela que je me sentis pénétré de honte et de remords. « Que Dieu me pardonne, ma chérie ! » me hâtai-je de répondre. Après quoi je lui racontai mon histoire aussi brièvement que je pus, et me levai pour aller en quête de Ronald. « Vous voyez que l’on vous obéit, mademoiselle ! » dis-je encore à Flora.

Elle m’accorda un regard qui était la plus belle des récompenses ; et, en m’éloignant d’elle, — comme si je quittais la lumière du soleil pour entrer dans les ténèbres, — j’emportai dans mon cœur la caresse réconfortante de ce regard.

La jeune fille en rose était une grande et majestueuse personne, avec une abondance de dents, un déploiement considérable d’yeux et d’épaules, et un branle-bas ininterrompu de conversation. On pouvait aisément deviner, à voir l’attitude de M. Ronald, qu’il adorait jusqu’à la chaise où cette personne trônait. Mais je fus sans pitié. Je posai ma main sur l’épaule du jeune homme, au moment où il se penchait vers son idole avec une sollicitude timide et passionnée.

« Excusez-moi, et veuillez m’accorder une minute, M. Gilchrist ! » dis-je.

Il sursauta, en réponse à ma voix, et tourna vers moi un visage tout décomposé à force de stupeur.

« Oui, repris-je, c’est bien moi ! Pardonnez-moi d’interrompre un tête-à-tête aussi agréable, mais il faut que je vous rappelle avant tout, mon cher ami, que nous avons des devoirs envers M. Robbie. Ce serait fort inconvenant,