Page:Stevenson - Saint-Yves.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cœur la force de vous le dire. Par grâce, laissez-vous persuader, et fuyez d’ici !

— Je crois bien que je connais ce danger comme vous, mademoiselle. Mais je n’ai jamais attaché une très grande importance à la vie. Ma seule école a été la guerre, une assez mauvaise école en vérité pour devenir savant ; mais on y apprend à porter sa vie dans ses mains aussi légèrement qu’un gant, et à s’en défaire aussi facilement, pour la dame qu’on aime ou pour son honneur. Je suis revenu en Écosse, — tout en sachant très bien ce que je faisais, — afin de vous revoir et de causer avec vous, peut-être pour la dernière fois. J’ai su, dès le début, ce que je faisais, et, si je n’ai pas hésité au début, pouvez-vous croire que je sois disposé à reculer maintenant ?

— Mais non, vous ne pouvez pas savoir ce qui en est ! dit-elle avec une agitation croissante. Cette ville, même ce jardin, signifient la mort pour vous. Tout le monde ici croit à ce que l’on a écrit de vous : moi seule je n’y crois pas. S’ils vous entendent, s’ils entendent seulement un murmure… Je tremble en y pensant ! Partez, partez aussitôt ! Écoutez ma prière !

— Chère miss Gilchrist, ne me refusez pas ce que je suis venu chercher de si loin ! Rappelez-vous que, sur les millions de personnes qui habitent l’Angleterre, il n’y a que vous à qui je puisse me confier ! Le monde entier est contre moi ; vous êtes mon seul allié ; et, de même qu’il faut que je parle, il faut que vous m’entendiez ! Tout ce que l’on a écrit de moi est faux. Oui, j’ai tué cet homme, ce Goguelat : c’est bien de lui que vous vouliez parler ? »

Elle me fit oui, d’un signe de tête, en silence. Elle était devenue mortellement pâle.

« Mais je l’ai tué en duel, dans une lutte loyale. Jusqu’alors, jamais je n’avais tué personne qu’à la guerre, où c’était mon métier. Mais tout mon cœur brûlait de reconnaissance pour quelqu’un qui avait daigné être bon pour moi, pour un ange qui m’était apparu comme la lumière du soleil dans les ténèbres de ma prison. Cet ange, cette amie