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l’avait fait tomber sur des causeurs de choix. Il me dit son nom, son adresse ; il me demanda à se retrouver une autre fois avec moi ; et il finit par me proposer de prendre part à un dîner qui devait avoir lieu, à la campagne, très prochainement.

« Un dîner officiel ! expliqua-t-il. Les membres de l’Université de Cramond, — une société savante dont j’ai l’honneur d’être le vice-président, — se réunissent pour fêter notre collègue Icare, dans l’antique et fameuse auberge de Cramond Bridge. Une place se trouve vacante, à ce festin : séduisant étranger, je vous l’offre !

— Et qui est votre collègue Icare ? demandai-je.

— Mais, monsieur, c’est le fils de l’industrieux Dédale, ainsi que chacun sait ! Serait-ce possible que vous n’ayez jamais entendu le nom de Byfield ?

— C’est possible et vrai ! reconnus-je.

— La gloire est-elle donc une illusion ? s’écria-t-il. Byfield, monsieur, est un aéronaute. Il rêve d’égaler la renommée de Lunardi, et a formé le projet d’offrir aux habitants de notre ville le spectacle d’une ascension. Après cela, en tant que je suis moi-même l’un des habitants susdits, j’ai bien le droit d’observer que cette affaire-là ne m’intéresse en aucune façon. Je m’en moque, monsieur, de son ascension ! Lunardi l’a faite jadis ; il est monté et est redescendu : la chose était réglée ! Qu’ai-je besoin, je vous demande, de voir l’expérience répétée indéfiniment par Byfield et d’autres idiots de sa sorte ? Ah ! s’il pouvait monter et ne plus redescendre, voilà au moins qui aurait quelque curiosité ! Mais je m’écarte de la question. Sachez donc que l’Université de Cramond se fait un devoir d’honorer le mérite de l’homme, monsieur, plutôt que l’utilité de la profession ; et Byfield, encore qu’il soit bête et ignorant comme un chien, se trouve avoir, d’autre part, d’incontestables qualités en tant que buveur. Il sait vider un verre, monsieur, et ce n’est point peu de chose ! »

Comme on le verra bientôt, tout cela devait avoir pour