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« Je prierai pour vous, toute ma vie ! dit-elle. Chaque nuit, avant de m’endormir, la dernière chose que je ferai sera de me rappeler votre nom ! »

Enfin je réussis à obtenir d’elle son histoire, qui était bien ce que j’avais présumé : l’histoire d’un pensionnat, d’un jardin entouré de murs, d’un noyer dont les branches donnaient sur la campagne voisine, d’un grossier commis œillant à l’église, puis échangeant des fleurs et des vœux par-dessus le mur, d’une camarade de pension prise pour confidente, d’une chaise de poste avec quatre chevaux et, aussitôt, du plus parfait désenchantement dans le cœur de la petite personne.

« Et rien à faire ! gémit-elle en matière de conclusion. Mon erreur est irréparable. Oh ! monsieur de Saint-Yves ! Qui aurait pensé que je pusse devenir une créature aussi aveugle et aussi perverse ? »

J’aurais dû dire déjà que nous avions été vite rejoints par les deux postillons, par Rowley et par M. Bellamy, — c’était le nom du séducteur, — montés sur les quatre chevaux de la chaise brisée ; et ces quatre cavaliers formaient, autour de nous, comme une escorte d’honneur. Par instants, Bellamy se penchait à la fenêtre, pour nous offrir un peu de sa conversation. Mais il était si mal reçu que, vraiment, j’étais tenté de le plaindre, me rappelant de quelle hauteur il était tombé, et comment, le matin même de ce jour, la jeune fille s’était jetée dans ses bras, toute rougeurs et tendresses. Hélas ! le pauvre Bellamy était maintenant l’objet légitime de ma commisération et des risées de ses propres postillons !

« Miss Dorothée, dis-je, voulez-vous être délivrée de cet homme ?

— Oh ! si c’était possible ! s’écria-t-elle. Mais pas par la violence, n’est-ce pas ?

— Nullement, certes ! répondis-je. C’est la chose la plus simple du monde ! Nous sommes dans un pays civilisé : cet homme est un malfaiteur…

— Croyez-vous vraiment qu’on puisse aller jusque-là ?