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Je crus qu’il allait me sauter à la gorge.

« Oh ! vous avez toujours l’alternative d’attendre ici l’arrivée du papa ! » ajoutai-je.

Cette perspective le remit à la raison. Après un nouveau regard d’épouvante sur la route, il capitula.

« Cette dame et moi, nous vous sommes bien obligés ! » dit-il avec mauvaise grâce.

J’offris ma main à la jeune femme : elle sauta dans la chaise comme un oiseau. Rowley, grommelant tout haut, referma la portière sur nous ; les deux impudents postillons recommencèrent à rire en nous suivant ; et mon propre postillon fouetta ses chevaux de toutes ses forces. Évidemment tout le monde supposait que, par un acte d’énergie des plus audacieux, je venais de ravir la fiancée à son ravisseur.

Après quelques minutes, je jetai un regard sur la petite dame. Elle était dans un état de déconfiture pitoyable.

« Madame !… » commençai-je.

Et elle, au même instant, retrouvant sa voix :

« Oh ! qu’est-ce que vous devez penser de moi ?

— Madame, dis-je, que peut penser un gentleman quand il voit la jeunesse, la beauté et l’innocence, plongées dans le malheur ? Mais, au reste, je vais vous apprendre quelque chose à mon propre sujet, qui vous rassurera tout de suite là-dessus. Sachez que je suis moi-même amoureux ! Il y a au monde une jeune femme que j’admire, que j’adore, que je vénère. Elle est aussi bonne qu’elle est belle. Si elle était ici, elle vous prendrait dans ses bras. Imaginez que c’est elle qui m’a envoyé en me disant : « Allez, soyez son chevalier ! »

— Oh ! je sais qu’elle doit être parfaite, je sais qu’elle doit être digne de vous ! s’écria la petite dame. Ce n’est pas elle qui aurait jamais oublié le décorum féminin, ni commis le terrible erratum que j’ai commis ! »

Sur quoi le ton de sa voix monta, et elle fondit en larmes.

Ceci ne faisait pas du tout mon compte. En vain je la suppliai de se calmer assez pour m’offrir un récit simple