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dernier valet de pied en guêtres blanches, jusqu’à la dernière femme de chambre en petit bonnet plissé, jusqu’au dernier garçon palefrenier en gilet d’écurie. Cette nombreuse assemblée avait l’air, en majeure partie, d’être fort gênée et mal à son aise ; on ne savait sur quel pied se tenir, on ouvrait de grandes bouches ; ceux qui étaient dans les coins se regardaient en se poussant du coude. D’autre part mon oncle, qui s’était fait dresser très haut sur ses oreillers, avait pris une expression de gravité la plus imposante du monde. Dès que nous fûmes arrivés auprès de son lit, il éleva la voix autant qu’il put, et, s’adressant à l’assistance :

« Je vous prends tous à témoins, dit-il, je vous prends tous à témoins — vous m’entendez bien ? — que je reconnais pour mon héritier le gentilhomme que voici, le comte Anne de Saint-Yves, mon neveu. Et je vous prends tous à témoins, en même temps, que, pour de bonnes raisons connues de moi, j’ai rejeté et déshérité cet autre gentilhomme, ici présent, le vicomte de Saint-Yves. Et maintenant, il me reste à me justifier devant vous du dérangement inusité que je vous ai causé à tous. Sachez donc que M. Alain a osé exprimer son intention de faire casser mon testament, et qu’il est même allé jusqu’à soutenir qu’il y avait parmi vous certaines personnes qui consentiraient à jurer dans le sens où il l’exigerait d’elles ! Voilà pourquoi j’ai dû recourir à ce moyen pour lui ôter une telle ressource, en fermant d’avance la bouche de ses faux témoins. Je vous suis fort obligé de votre politesse et j’ai l’honneur de vous souhaiter à tous une bonne nuit ! »

Pendant que les domestiques, ahuris, se pressaient à la porte pour opérer leur sortie, les uns saluant, d’autres traînant le pied, d’autres essayant de lire une explication dans les yeux de leur voisin, je me retournai pour jeter un coup d’œil sur mon malheureux adversaire. Il avait supporté ce terrible affront public sans l’ombre d’un changement dans sa contenance. Il se tenait debout, très droit, les bras croisés, les yeux distraitement levés au plafond. Je ne pus lui refuser, en cette minute, le tribut de mon admiration. Et