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Rampant. J’employai à cet ouvrage toute l’adresse dont j’étais capable, et quand enfin je vis que je ne pouvais, plus rien y parfaire, j’inscrivis, sous le lion, la dédicace que voici :

À L’AIMABLE FLORA
Le prisonnier reconnaissant.
A. d. St-Y. d. K.

Mon chef-d’œuvre achevé, rien ne me restait plus qu’à attendre et à espérer. Malheureusement l’attente est, de toutes les vertus, celle dont ma nature s’accommode le moins : en amour comme à la guerre, je suis toujours pour agir de suite ; et ces journées d’attente furent mon purgatoire. Chaque soir, je m’apercevais que j’aimais Flora beaucoup plus que la veille ; et voilà que, en outre, je commençais à être pris d’une frayeur folle. Qu’allais-je devenir, si je ne la revoyais plus ? Comment retomberais-je jusqu’à m’intéresser aux leçons du major, aux échecs du lieutenant, à la vente d’un jouet de deux sous sur notre marché ?

Cependant les jours passaient, et les semaines. Je n’avais point le courage de les compter ; aujourd’hui encore je n’ai pas le courage de me les rappeler. Mais enfin, un jour, ma bien-aimée revint. Enfin, je la vis s’approcher de moi, accompagnée d’un garçon un peu plus, jeune qu’elle, et en qui je devinai aussitôt son frère.

Je me levai, et, sans rien dire, je la saluai le plus galamment que je pus.

« Voici mon frère, M. Ronald Gilchrist ! dit-elle. Je lui ai raconté vos souffrances. Il vous plaint comme moi !

— C’est plus que je n’ai le droit d’exiger, répondis-je ; mais de tels sentiments sont naturels entre honnêtes gens. Si votre frère et moi nous nous rencontrions sur un champ de bataille, nous n’aurions de pensée que pour nous couper la gorge ; mais, aujourd’hui, il me voit désarmé et malheureux, et il oublie son animosité. (Sur quoi, comme