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Elle me mit dans la main une pièce de cinq shillings, et s’enfuit avant que j’eusse le temps de la remercier.

Je me retirai à l’écart, laissant mon étalage à la garde de mon voisin. La beauté de la jeune fille, l’expression de ses yeux, une larme que j’y avais vu trembler, l’accent de compassion dans sa voix, une sorte d’élégance sauvage que relevait encore la liberté de ses mouvements, tout cela se combinait pour captiver mon imagination et pour enflammer mon cœur. Que m’avait-elle dit ? Rien de particulier ; mais ses yeux avaient rencontré les miens, et je sentais que le feu qu’ils y avaient allumé ne cesserait point de brûler dans mes veines. Je l’aimais ; je l’aimais si fort que je ne craignais même pas d’espérer ! Deux fois je lui avais parlé ; et, les deux fois, j’avais été heureusement inspiré, j’avais su gagner sa sympathie, j’avais trouvé des paroles que j’étais sûr qu’elle n’oublierait pas. Qu’importait que je fusse mal rasé, et accoutré d’un costume grotesque ? J’avais l’impression que l’amour, seul maître du monde, me favorisait. Je fermai les yeux, et aussitôt la voici qui surgit, sur le fond de ténèbres, plus belle encore que dans la vie. « Ah ! bien-aimée, pensai-je, je veux que, toi aussi, tu emportes dans ton cœur une image que tu reverras sans cesse ! Dans l’obscurité de la nuit, le jour en passant par les rues, je veux que tu aies devant toi ma voix et mon visage, te murmurant mon amour, conquérant ton cœur dédaigneux ! » Et alors je me revis soudain moi-même, avec mon déguisement d’arlequin ; et j’éclatai de rire.

Comme c’était vraisemblable, en vérité, qu’un mendiant, un simple soldat, un prisonnier ainsi travesti, réussît à éveiller l’intérêt de cette belle jeune fille ! J’étais résolu à ne point désespérer ; mais je compris que le jeu gagnerait à être mené habilement. Aussi bien ma situation de prisonnier me laissait-elle tous les loisirs nécessaires pour bien méditer ma partie. Je me mis à tailler, dans un morceau de bois, une figure qui, au moins dans mon intention, devait représenter l’emblème de l’Écosse, le Lion