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lité. Cela étant, il me proposa de venir avec lui chez un certain écuyer Merton, un grand homme du pays, dont le manoir n’était qu’à trois lieues de là. Je répondis que je ne bougerais point d’un seul pas pour lui faire plaisir. Il proposa ensuite qu’on me fît rester toute la nuit où j’étais, de manière que le constable pût examiner mon affaire le lendemain, quand il aurait cuvé son eau-de-vie. Je répondis que je m’en irais où et quand je voudrais ; que nous étions des voyageurs libres, craignant Dieu et notre roi ; et que, pour ce qui était de moi, je ne me laisserais arrêter par personne. Mais bientôt, estimant que le débat n’avait que trop duré, je résolus d’y mettre fin brusquement.

« Voyez-vous, dis-je, en me levant de ma chaise, il n’y a qu’une seule manière de trancher une querelle comme celle-là, une seule manière vraiment anglaise : et c’est de la trancher d’homme à homme. Ôtez votre veste, monsieur et ces messieurs seront témoins des coups ! »

À ces mots, j’aperçus dans l’œil de mon ennemi un regard dont la signification ne pouvait m’échapper. Pour fier qu’il fût de son « éducation », celle-ci avait été négligée sur un point essentiel : il ne savait pas boxer. Vous me direz à cela que, moi non plus, je ne le savais pas : oui, sans doute, mais j’avais plus d’impudence, et je risquais la proposition à tout hasard.

« Cet homme prétend que je ne suis pas un Anglais, poursuivis-je ; mais la preuve du pudding, c’est quand on le mange ! »

Sur quoi je défis ma veste et me mis en position, ce qui était à peu près tout ce que je savais de cet art national.

« Eh bien ! monsieur, dis-je, ça n’a pas l’air de vous tenter ! Allons, réveillez-vous un peu ! » Je tirai une banknote de ma poche et la remis à l’aubergiste. « Tenez, voici l’enjeu ! Nous allons nous battre au premier sang. Si vous m’attrapez le premier, voici cinq guinées pour vous et je vous accompagnerai chez tous les écuyers à qui il vous