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enveloppé d’un manteau en camelot dont il avait relevé le collet par-dessus ses oreilles ; ses genoux touchaient la grille, ses mains plongeaient dans la fumée, et, malgré cela, il tremblait de froid. L’autre Français, au contraire, était un gros homme florissant de santé, le type de ces officiers qui font l’admiration des dames, le dimanche, sur la promenade publique des petites villes de garnison. Sans doute il avait désespéré de pouvoir se chauffer devant la cheminée car à présent il marchait de long en large dans la chambre, éternuant ferme, se mouchant à chaque pas, et proférant un flot continu de plaintes, de grognements et de jurons de caserne.

Fenn m’introduisit de la façon la plus simple, en se bornant à dire « Messieurs, voici un nouveau compagnon ! » Et il nous quitta aussitôt. Le vieillard ne m’accorda qu’un regard rapide de ses yeux éteints. Mais l’autre homme, qui représentait à merveille l’image du Bel Enrhumé, me dévisagea avec arrogance.

« Qui êtes-vous, monsieur ? » demanda-t-il.

Je fis le salut militaire à mes supérieurs.

« Champdivers, soldat au 8e de ligne ! répondis-je.

— Voilà une affaire ! grommela l’officier. Et ainsi, vous allez venir avec nous ? Trois dans cette voiture ! Et un soldat, pour comble ! Mais d’abord, qui est-ce qui va payer pour vous, mon brave ? demanda-t-il.

— Si monsieur le prend sur ce ton, répondis-je poliment, qui donc a payé pour lui ? »

L’officier fit mine de n’avoir pas entendu. Il commença une longue tirade pour se plaindre de sa destinée, du froid, des frais de l’évasion, mais surtout de la maudite cuisine anglaise. Il paraissait fort ennuyé de ce que je me fusse joint à eux.

« Si vous saviez ce que vous faisiez, mille millions de tonnerres, vous seriez resté où vous étiez ! Les chevaux ne peuvent pas traîner le chariot ; les routes ne sont qu’ornières et marécages ! Pas plus tard que la nuit passée, le colonel et moi nous avons eu à marcher à pied