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M. Fenn pour commencer l’explication, lorsque la phrase que j’avais préparée me rentra dans la gorge.

L’homme, debout derrière moi, tenait en main un énorme pistolet, que j’eus tout juste le temps d’écarter de ma poitrine. Mais aussitôt mon adversaire s’élança sur moi, de tout son poids. Sans lâcher le pistolet qu’il avait dans sa main droite, de son bras gauche il me serra contre lui, et si vigoureusement que je crus bien qu’il allait m’écraser du coup. La bouche ouverte, le visage cramoisi, il soufflait tout haut, comme une bête furieuse. Heureusement il était ivre ; et le ressort de son énergie ne tarda pas à faiblir. Encore un terrible effort, qui faillit m’écraser, et puis je sentis son étreinte se desserrer et ses jambes fléchir. Au même instant le pistolet partit, sans atteindre personne. Le coquin s’abattit sous son propre poids et tomba à genoux sur les dalles.

« Épargnez-moi ! » murmurait-il.

Je n’avais pas seulement été affreusement effrayé, j’étais encore tout tremblant d’indignation et de dégoût. Je me dégageai du répugnant contact de Fenn, je saisis le pistolet, — c’était une arme formidable, même déchargée, et je le menaçai de la crosse.

« Que je vous épargne, vous, vilaine bête ! » m’écriai-je.

Sa voix expira dans sa grosse poitrine, mais ses lèvres continuaient à s’agiter, essayant de prononcer les mêmes paroles de supplication. Ma colère s’était un peu calmée, mais non ma répugnance ; le spectacle que j’avais sous les yeux me révoltait, et j’avais hâte d’en être délivré.

« Allons, lui dis-je, cessez cette comédie ! Je n’ai pas l’intention de vous tuer ! entendez-vous ? j’ai besoin de vous ! »

Un regard de soulagement éclaira son ignoble visage.

« Tout… tout ce que vous pouvez désirer ! » dit-il.

Ce mot me donna à réfléchir.

« Est-ce vrai, au moins, ce que vous dites ? demandai-je. Me promettez-vous de me révéler tout ce que vous savez ? »

Le misérable me répondit un « oui » qui, à lui seul, m’aurait donné envie de l’étrangler.