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que j’aie pu supposer un seul instant qu’il fût habité ; mais j’étais curieux de savoir ce qu’il pouvait bien contenir, et d’où il venait. Les roues et les chevaux étaient éclaboussés de taches de boues de différentes couleurs, ce qui prouvait une longue marche à travers des régions diverses. Le cocher fouettait continuellement ses bêtes, qui s’obstinaient à marcher au pas : d’où il semblait résulter qu’on était en route depuis longtemps, peut-être depuis la veille, et que le cocher avait hâte d’arriver. Tout à coup, je découvris, sur un des côtés du chariot, une plaque indiquant le nom du propriétaire ; et je tressaillis de surprise. La fortune m’avait favorisé d’une manière inespérée : ce chariot appartenait à M. Burchell Fenn !

« Un vilain temps ? » dis-je.

Le cocher, un rustre à la tête carrée, et avec un teint de navet, ne répondit pas un mot à mon salut, mais se mit à fouetter ses chevaux furieusement. Les pauvres bêtes, qui pouvaient à peine mettre un pied devant l’autre, ne firent d’ailleurs aucune attention apparente à sa cruauté ; et je continuai sans effort à maintenir ma position près du chariot, m’amusant de la vanité de sa tentative, qui, elle-même, ne laissait point de m’intriguer encore davantage. Car je n’avais point mine si formidable qu’on eût envie de fuir en me voyant approcher ; et j’étais plus accoutumé à prendre alarme des gens qu’à les alarmer. Enfin le cocher renonça à battre ses chevaux et déposa son fouet à ses pieds, d’un geste de vaincu.

« Ainsi, vous vouliez me fuir ? dis-je. Fi, fi, cela n’est pas anglais !

— Je vous demande pardon, monsieur ; c’était sans intention de vous offenser ! répondit-il en touchant son chapeau.

— Oh ! il n’y a pas d’offense m’écriai-je. Tout ce que je désire, c’est de m’égayer un peu sur ma route. »

Il marmotta quelque chose qui signifiait que « la gaieté n’était pas son fait ».

« Bah ! lui dis-je, j’ai voyagé avec des gaillards plus