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résolus de faire un détour pour passer par Wakefield, de tenir mes oreilles et mes yeux bien ouverts, et de m’en fier, pour le reste, à ma bonne fortune. Si la chance me jetait sur la piste de l’homme, j’en profiterais pour recourir à lui ; sinon, je n’aurais pas de peine à me consoler !

J’avais dormi, cette nuit-là, dans une bonne auberge, à Wakefield, j’avais déjeuné à la lueur d’une chandelle, avec les voyageurs d’une diligence, et je m’étais mis en route, assez mécontent de moi-même et du reste du monde. La matinée était encore peu avancée ; l’air était aigre et froid, le soleil bas ; et bientôt le soleil disparut sous un vaste dais de nuages qui avaient commencé à se rassembler au nord-ouest et, de là, avaient rapidement envahi tout le ciel. Déjà la pluie tombait en baguettes de cristal, déjà la route s’était transformée en un marécage, et j’avais devant moi la perspective d’une longue journée de vêtements mouillés, ce qui m’a toujours été particulièrement odieux. À un tournant de la route, j’aperçus un chariot couvert, lentement traîné par deux chevaux harassés. Ce chariot était d’une espèce que je n’avais encore jamais vue ; et, comme tout intéresse un piéton, pour peu qu’il y trouve l’occasion d’oublier la misère d’un jour de pluie, je hâtai le pas et eus vite fait de me rapprocher du chariot.

Plus j’en approchais, plus son aspect m’intriguait. C’était une de ces voitures comme en employaient chez nous les marchands de toile, montée sur deux roues, avec un siège, en avant, pour le cocher. L’intérieur, fermé d’une porte, était de taille à contenir une grosse provision de toile, ou, en cas de nécessité, quatre ou cinq personnes. Mais vraiment, si des êtres humains avaient eu à y voyager, les malheureux auraient été bien à plaindre ! Ils auraient dû, d’abord, faire le trajet dans les ténèbres, car il n’y avait point trace de fenêtre ; et ils auraient été secoués, en outre, comme un flacon d’apothicaire, car le chariot, lourdement balancé sur ses deux roues, ne cessait pas de sursauter effroyablement. Au reste, je ne crois pas