Page:Stevenson - Saint-Yves.djvu/10

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’attirer sur moi l’attention de la belle inconnue, et pas plus tard que ce même jour.

Elle s’approchait de l’endroit où j’étais assis avec ma marchandise, lorsque je vis que son mouchoir s’échappait de ses mains ; dès l’instant d’après, le vent l’avait emporté et poussé jusque près de moi. Aussitôt me voilà sur pied. J’oublie ma livrée jaune, j’oublie le soldat prisonnier et son obligation du salut militaire. Avec une profonde révérence, je présente à la jeune femme le mouchoir de dentelles.

« Madame, dis-je, voici votre mouchoir ! Le vent me l’a apporté. »

Mes yeux se rencontrèrent tout droit avec les siens.

« Je vous remercie, monsieur ! dit-elle.

— Le vent me l’a apporté, répétais-je. Ne puis-je pas prendre cela pour un présage ? Vous avez un proverbe anglais qui assure « qu’il n’y a si mauvais vent qui n’apporte à quelqu’un quelque chose de bon ».

— Eh bien ! dit-elle avec un sourire, un bon service en appelle un autre. Montrez-moi ce que vous avez là ! »

Et elle me suivit à l’endroit où, sous l’abri d’une pièce de canon, j’avais étalé mes pauvres denrées.

« Hélas ! mademoiselle, dis-je, je ne suis guère un bon artisan. Ceci est censé être une maison mais, comme vous voyez, les cheminées sont un peu de travers. Et ceci, avec beaucoup d’indulgence, vous pouvez l’appeler une boîte ; mais j’aurais dû pouvoir la faire un peu plus d’aplomb ! Oui, je crains que vous ayez beau aller d’un de ces objets à l’autre il n’y en a pas un qui n’ait son défaut. Défauts à vendre, telle devrait être mon enseigne ! »

Je lui désignai du doigt mon étalage, en souriant ; puis je relevai les yeux sur elle, et aussitôt je redevins grave.

« Étrange chose, ajoutai-je, qu’un homme adulte, et un soldat, ait à se livrer à un tel travail, n’est-ce pas ? et qu’un cœur plein de tristesse se trouve condamné à produire des objets si comiques ? »

Au même instant une voix déplaisante appela ma visi-