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Près d’une semaine a passé depuis lors, et voici que j’achève cette relation sous l’influence de la dernière dose de l’ancien produit. Voici donc, à moins d’un miracle, la dernière fois que Henry Jekyll peut penser ses propres pensées ou voir dans le miroir son propre visage (combien lamentablement altéré !). Du reste, il ne faut pas que je tarde trop longtemps à cesser d’écrire. Si mon présent récit a jusqu’à cette heure évité d’être anéanti, c’est grâce à beaucoup de précautions alliées à non moins beaucoup d’heureuse chance. Si les affres de la métamorphose venaient à s’emparer de moi tandis que j’écris, Hyde mettrait ce cahier en morceaux ; mais s’il s’est écoulé un peu de temps depuis que je l’ai rangé, son égoïsme prodigieux et son immersion dans la minute présente le sauveront probablement une fois encore des effets de sa rancune simiesque. Et d’ailleurs la fatalité qui va se refermant sur nous deux l’a déjà changé et abattu. Dans une demi-heure d’ici, lorsqu’une fois de plus et pour jamais je revêtirai cette personnalité haïe, je sais par avance que je resterai dans mon fauteuil à trembler et à pleurer, ou que je continuerai, dans un démesuré transport de terreur attentive, à arpenter de long en large cette pièce… mon dernier refuge sur la terre… en prêtant l’oreille à tous les bruits menaçants. Hyde mourra-t-il sur l’échafaud ? Ou bien trouvera-t-il au dernier moment le courage de se libérer lui-même ? Dieu le sait ; et peu m’importe : c’est ici