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DE L’AMOUR ET DE LA POLITIQUE

veuve d’un comte nébuleux, ayant déjà dépassé sa seconde jeunesse et perdu quelque peu de ses charmes, laquelle comtesse est ouvertement reconnue comme la maîtresse du baron. J’avais cru d’abord que ce n’était là qu’une complice à gages, simple masque ou paravent à l’intention de la pécheresse plus haut placée. Mais quelques heures en compagnie de madame de Rosen ont fait évanouir pour toujours cette illusion. Elle est plutôt femme à susciter un esclandre qu’à en empêcher un, et elle n’attache aucun prix aux appâts, argent, honneurs, places, avec lesquels on pourrait dorer sa position. En vérité, pour une personne franchement dévergondée, elle m’a plu à la cour de Grunewald comme un coin de nature vraie.

Le pouvoir de cet homme sur la princesse est donc sans bornes. Elle a sacrifié à l’adoration qu’il lui a inspirée non seulement ses vœux du mariage et le dernier sentiment de décence publique, mais jusqu’à la jalousie même, ce vice plus cher au cœur féminin que l’honneur et la considération publique. Et, qui plus est, femme, jeune sinon très attrayante, princesse par naissance et par son mariage, elle admet la rivalité triomphante d’une personne qui par le nombre des années pourrait être sa mère, et qui est manifestement son inférieure dans l’échelle sociale. Voilà un des mystères du cœur humain. Mais la rage de l’amour illicite, une fois qu’on y cède, semble augmenter à chaque pas en avant ; et, étant donnés le caractère et le tempérament de cette malheureuse princesse, le dernier mot même de la dégradation entre dans les bornes de la possibilité.