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DE L’AMOUR ET DE LA POLITIQUE

impossible de le conjecturer. Pas longtemps, je suppose. Et pourtant cet homme singulier erre depuis cinq ans dans le labyrinthe sans rien perdre ni de sa faveur à la cour, ni de sa popularité dans les loges.

J’ai l’avantage de le connaître un peu. Lourdement, même assez gauchement bâti, d’une charpente énorme, noueuse et mal reliée, il sait pourtant se redresser et poser, non sans attirer quelque admiration, au salon et à la salle de bal. Bilieux de teint et de tempérament, il a le regard saturnin ; sa joue est d’un bleu noir, là où a passé le rasoir. Il faut le ranger dans la classe des misanthropes de nature, de ceux qui méprisent leur prochain par conviction. Et pourtant il est lui-même plein d’une ambition vulgaire, et avide d’applaudissements. Dans sa conversation il est remarquable par son ardent désir d’apprendre, car il préfère écouter à parler, par ses opinions solides et réfléchies, et, en comparaison avec l’extrême manque de pénétration que montrent la plupart des politiques, par une prévision singulière des événements. Tout cela, cependant, est sans grâce, sans esprit, sans charme, lourdement démontré et avec une physionomie terne. Dans le cours de nos nombreuses conversations, bien qu’il m’ait invariablement écouté avec déférence, j’ai toujours eu le sentiment d’une espèce de finasserie grossière difficile à tolérer. Il n’y a rien en lui qui vous révèle le gentilhomme ; ce n’est pas seulement l’absence de toute espèce d’affabilité, de toute chaleur communicative. Jamais, du reste, un gentilhomme ne ferait une pareille parade de ses relations avec la princesse ; encore moins