Page:Stevenson - Le Roman du prince Othon.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
DE L’AMOUR ET DE LA POLITIQUE

ceci ! Il n’est pas question d’utilité ? Je n’en puis rester à ce prétexte : il faut que je sois utile ou funeste, l’un ou l’autre. Je te concède sans réserve que le tout ensemble, tant prince que principauté, est d’un ridicule achevé, un trait de satire, et qu’un banquier ou l’homme qui tient une auberge remplissent des devoirs bien autrement graves. Mais, maintenant que depuis trois ans je m’en suis lavé les mains, que j’ai tout laissé… travail, responsabilité, honneur et jouissances, si tant est qu’il s’en trouve, à Gondremark et à… Séraphine… Il hésita à prononcer le nom, et Gotthold détourna les yeux. Eh bien, continua le prince, qu’en est-il advenu ? Impôts, armées, canons, ma parole ! on dirait une boîte de soldats de plomb. Et le peuple, dégoûté de toute cette folie, enflammé par cette injustice… De plus, la guerre, car j’entends parler de guerre… La guerre dans cette soupière ! Voilà une complication de honte et de bouffonnerie ! Et quand arrivera la fin inévitable… la révolution, qui en portera le blâme devant l’œil de Dieu, qui montera au pilori de l’opinion publique ? Qui ? moi, prince Fantoche !

— Je croyais que tu n’avais que du dédain pour l’opinion publique, fit Gotthold.

— Autrefois, oui, dit Othon d’un air sombre, mais maintenant non. Je me fais vieux. Et puis, Gotthold, il y a Séraphine. On la hait dans ce pays où je l’ai amenée, ce pays que je lui ai permis de ruiner. Oui, je le lui ai donné comme jouet… et elle l’a cassé : voilà d’un beau prince, d’une princesse admirable ! Même sa vie… je te le demande, Gotthold, sa vie est-elle en sûreté ?