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PRINCE ERRANT


— Je pensais bien que je vous étonnerais, dit-il. Ce ne sont pas là les idées des masses.

— Oh ! non, je vous assure, dit Othon.

— Ou plutôt, précisa le licencié, ce ne sont pas là leurs idées d’aujourd’hui ; mais un jour viendra où ces idées prendront le dessus.

— Vous me permettrez, Monsieur, d’en douter, dit Othon.

— La modestie, continua le théoricien avec un petit rire, est toujours chose admirable. Mais je vous assure qu’un homme tel que vous, ayant à ses côtés un homme comme le docteur Gotthold, par exemple, serait, selon moi, dans tout ce qui est essentiel, un souverain idéal.

De ce train-là les heures s’écoulaient agréablement pour Othon. Mais malheureusement le licencié, qui était assez douillet en selle et adonné aux demi-étapes, couchait cette nuit-là à Beckstein. Et pour s’assurer des compagnons de route jusqu’à Mittwalden et se défaire ainsi autant que possible de la compagnie de ses propres pensées, le prince dut s’insinuer dans les bonnes grâces de certains marchands de bois, venus de divers États de l’Empire, qui buvaient ensemble et assez bruyamment au fond de la salle.

La nuit était déjà tombée quand ils se mirent en selle. Les marchands étaient en gaieté et braillaient fort ; ils avaient tous une figure de lune d’août. Ils se faisaient des niches, chantaient seuls ou en chœur, oubliaient leur compagnon de voyage et s’en ressouvenaient tour à tour. Othon combinait de cette façon les avantages de la société et de la solitude, écoutant tantôt leurs bavardages