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LE ROMAN DU PRINCE OTHON

Votre Altesse, de ne pas l’avoir reconnue tout de suite…

Le dépit enleva au prince tout son sang-froid : — Puisque vous me connaissez, dit-il, il est inutile que nous fassions route ensemble. Je vous précéderai donc, avec votre permission. Mais, comme il se disposait à éperonner sa jument blanche, le manant, à moitié ivre, allongea le bras et lui saisit la bride.

— Dites donc, vous, fit-il, prince ou non, ce n’est pas comme ça qu’on se conduit. Oui-dà ! sous cape cela vous va bien de me tenir compagnie… mais du moment que je vous connais, avec ma permission, vous me précéderez !… Mouchard ! Et, tout cramoisi à la fois de boisson et de vanité mortifiée, le drôle cracha, pour ainsi dire, le mot à la figure du prince.

Othon se sentit tout à coup horriblement confus : il s’aperçut qu’il venait de présumer grossièrement sur son rang. Peut-être aussi un petit frisson de crainte personnelle se mêlait-il à ce remords, car le gaillard avait vigoureuse encolure et ne possédait qu’à demi sa raison. — Lâchez mes rênes ! lui dit-il, cependant, avec une reprise suffisante d’autorité. Et quand, un peu à son propre étonnement, il vit l’homme obéir : Sachez, Monsieur, continua-t-il, que bien que j’eusse pu prendre plaisir à cheminer avec vous en simple particulier qui converse intelligemment avec un autre, et à recevoir de cette façon vos opinions véritables sur divers sujets, il me serait fort peu intéressant d’écouter les vains compliments que vous débiteriez à votre prince.