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LE ROMAN DU PRINCE OTHON

hommes, se disait-il, eussent, même sous une moindre provocation, plus mal agi. Et pour compléter ses impressions harmonieuses, la beauté du chemin et l’air printanier lui réjouissaient tous deux le cœur.

Montant, descendant, se repliant sur les collines boisées, la grande route, blanche et large, se déroulait vers Grunewald. De chaque côté se dressaient les sapins solidement plantés dans la fraîcheur de la terre, et protégeant entre leurs pieds noueux les mousses épaisses et le jaillissement des ruisseaux ; et quoique les uns fussent larges et forts, les autres élancés et plus grêles, tous se tenaient fermes dans la même attitude, avec la même physionomie, comme une armée silencieuse présentant les armes. Dans toute sa longueur, la grande route évitait les villes et les villages qu’elle laissait à droite et à gauche. De temps en temps, il est vrai, le prince pouvait entrevoir au fond d’un vallon vert quelque congrégation de toits ; ou peut-être, au-dessus de lui, la cabine solitaire d’un bûcheron. Mais la route était une entreprise internationale : visant les grandes cités lointaines, elle dédaignait la petite vie de Grunewald. De là sa grande solitude. Près de la frontière Othon rencontra un détachement de ses propres troupes marchant dans la poussière chaude. Il fut reconnu et acclamé, sans beaucoup d’enthousiasme, à son passage. Dès lors, et pour longtemps, il demeura seul avec les grands bois. Peu à peu l’heureuse influence sous laquelle il se trouvait commença à se dissiper. Ses pensées intimes revinrent à la charge comme un essaim d’insectes venimeux : le