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LE ROMAN DU PRINCE OTHON

nous avons tous labouré dans ces arpents : mes sillons suivent la trace des leurs. Leurs noms et le mien se voient sur le banc du jardin : deux Killians et un Johann… Oui, Monsieur, dans mon vieux jardin, des hommes de bien se sont préparés, pour la grande transformation. Je crois encore voir mon vieux père, le brave homme, avec son bonnet de coton, en faire le tour pour tout voir une bonne dernière fois. « Killian, me dit-il, vois-tu la fumée de mon tabac ? Eh bien, voilà la vie !… » C’était sa dernière pipe, et je crois qu’il le savait. Et ce devait être une chose étrange, sans doute, que de laisser là les arbres qu’il avait plantés, le fils qu’il avait engendré, même la vieille pipe en tête de turc qu’il avait fumée depuis qu’il était jeune gars et s’en allait courtiser son amoureuse. Mais ici-bas nous n’avons pas de demeure stable. Quant à ce qui est de l’éternelle, il est consolant de songer que nous avons d’autres mérites que les nôtres sur quoi compter. Et pourtant vous ne sauriez croire comme l’idée de mourir dans un lit étranger me chagrine le cœur.

— Vous faut-il donc vous y résoudre ? Et pour quelle raison ? demanda Othon.

— La raison ? On va vendre la ferme ; trois mille écus, répondit M. Gottesheim. Si c’avait été le tiers, je puis dire sans me vanter qu’avec mes épargnes et mon crédit j’aurais pu trouver la somme. Mais trois mille,… à moins d’avoir une chance étonnante, et que le nouveau propriétaire ne me retienne sur la ferme, il ne me reste plus qu’à déménager.

À cette nouvelle Othon sentit redoubler sa fan-