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PRINCE ERRANT

Oui, c’est un petit coin bien champêtre. Et il y a là, du côté de l’ouest, une terre excellente, grasse, un terrain excellent, bien profond. Je voudrais vous faire voir mon blé dans les dix arpents. Non, il n’y a pas une ferme en Grunewald, et bien peu en Gérolstein, qui vaillent la ferme de la Rivière. Les unes rendent soixante (c’est ce que je me dis, tout en semant), les unes rendent soixante, d’autres soixante-dix, d’autres encore la centaine… et chez, moi cent vingt ! Mais cela, Monsieur, dépend en partie du fermier.

— Et la rivière est poissonneuse ?

— Un véritable vivier. Même ici il ferait bon flâner, si l’on avait loisir, avec cette eau qui tambourine dans son bassin noir, et toute cette verdure enguirlandant les rochers… Et voyez un peu, jusqu’aux cailloux du bon Dieu, ne dirait-on pas de l’or et des pierres précieuses ? Mais, Monsieur, vous en êtes déjà à l’âge où, si je puis me permettre l’observation, vous devriez commencer à craindre les rhumatismes. De trente à quarante, c’est, pour ainsi dire, le temps de leurs semailles, et il fait froid et humide à se promener de si bon matin avec l’estomac vide. Prenez mon humble avis, Monsieur, et marchons.

— De tout mon cœur, répondit gravement Othon. Et tout en marchant : Ainsi donc, continua-t-il, vous avez vécu ici toute votre vie ?

— Ici, je suis né ; et je voudrais pouvoir dire : ici je mourrai. Mais la fortune, Monsieur, c’est la fortune qui fait tourner la roue ! On la dit aveugle, mais j’aime plutôt penser qu’elle voit un peu plus loin que nous. Mon grand-père, mon père, et moi,