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HEUREUSE INFORTUNE

— Eh ! mon Dieu… fit-il, péniblement embarrassé. Mais… songeons plutôt à notre sécurité. Mon scieur est très bien, mais je ne voudrais pas me reposer trop sur lui. Si nous suivons cette eau, elle nous mènera, mais après des tournants sans nombre, jusqu’à ma maison. Ici au contraire, en montant par cette clairière, nous trouverons un chemin plus court. Pour la solitude, c’est comme le bout du monde : à peine si les daims même le visitent. Êtes-vous trop fatiguée, ou pensez-vous pouvoir passer par là ?

— Choisissez le chemin ! Othon. Je vous suis, dit-elle.

— Non, répliqua-t-il, d’un air et d’un ton singulièrement ébahi. Je voulais seulement dire que le sentier est rude ; dans toute sa longueur ce n’est que futaies et ravines, et les ravines sont aussi profondes qu’épineuses.

— Montrez le chemin ! dit-elle encore. N’êtes-vous point Othon le Chasseur ?

Ils avaient percé le voile d’un épais taillis, et venaient de pénétrer sur une pelouse de la forêt, verte et vierge, entourée d’arbres solennels. Othon s’arrêta sur le bord, et regarda avec délice autour de lui ; puis ses regards retournèrent à Séraphine qui, encadrée par cette douceur sylvestre, contemplait son époux avec des yeux inscrutables. Une défaillance de corps et d’âme s’appesantit sur lui, comme l’approche du sommeil : les cordes de son activité se détendirent, ses yeux s’attachèrent sur elle. — Reposons-nous ! dit-il, et il la fit asseoir et prit place lui-même auprès d’elle, sur la pente d’un tertre.