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HEUREUSE INFORTUNE

fait ; il porterait aide à cette épouse sans amour ; il la sauverait, la consolerait ; mais il ferait tout cela avec une froide abnégation, imposant silence à son cœur, respectant la désaffection de Séraphine comme il eût respecté l’innocence d’un enfant.

C’est ainsi que, lorsqu’à l’un des tournants de la route il aperçut enfin la princesse, sa première idée fut de la rassurer au sujet de la pureté parfaite de son respect. Et sur-le-champ il cessa de courir au-devant d’elle, et s’arrêta net. Elle de son côté, poussant un petit cri, s’était mise à courir vers lui. Mais, en le voyant s’arrêter, elle s’arrêta aussi, frappée de remords, et enfin, timidement, comme une coupable, elle s’avança près de l’endroit où il se tenait.

— Othon, dit-elle, j’ai tout détruit !

— Séraphine ! fit-il, avec un cri comme un sanglot. Mais il ne bougea pas, retenu en partie par ses résolutions, en partie aussi frappé de stupeur par l’air de lassitude et le désordre de la jeune femme. Si alors elle eût gardé le silence, nul doute qu’ils ne fussent bientôt tombés dans les bras l’un de l’autre. Mais elle aussi s’était préparée à l’entrevue, et il fallut qu’elle gâtât cette heure d’or par des protestations.

— Tout, poursuivit-elle, j’ai tout détruit. Mais par pitié, Othon, écoutez-moi. Laissez-moi, non pas justifier, mais reconnaître mes fautes. La leçon a été si cruelle, j’ai eu le temps de faire de si amères réflexions, je vois le monde si changé ! J’ai été aveugle, aveugle comme les pierres. J’ai dédaigné le vrai bonheur, et vécu de chimères.