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HEUREUSE INFORTUNE

— Eh ! Madame, laissez-moi mes prisonniers ! dit-il. Et si vous vouliez seulement vous joindre à la bande, j’en serais, pardieu, heureux pour la vie !

— Vous me gâteriez, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.

— J’essayerais… j’essayerais, répliqua le gouverneur en lui offrant le bras.

Elle accepta, ramassa sa traîne, et, attirant le colonel plus près : — Je viens voir le prince, dit-elle. Non, homme de peu de foi, c’est pour affaire d’État !… Un message de ce stupide Gondremark qui me fait courir comme un postillon. Ai-je l’air d’un courrier, monsieur Gordon ? Et elle lui planta un regard droit dans les yeux.

— Vous avez l’air d’un ange, Madame, riposta le gouverneur en prenant les façons d’une galanterie raffinée.

La comtesse éclata de rire : — Un ange à cheval ! dit-elle. Bon train !

— Vous êtes venue, vous avez vu, vous avez conquis, dit Gordon avec un beau geste, et tout charmé de sa propre grâce et de son esprit. Dans la berline, Madame, vous fûtes l’objet de nos toasts : nous bûmes à votre santé force rasades d’un vin excellent… à la plus belle femme, pardieu, et aux plus beaux yeux de Grunewald ! De ma vie je n’ai vu la pareille… qu’une seule fois, dans mon pays à moi, quand j’étais un blanc-bec au collège… Thomasine Haig était son nom. Sur ma parole, je vous assure qu’elle vous ressemblait comme deux gouttes d’eau.

— Ainsi donc vous étiez fort gais, dans cette