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HEUREUSE INFORTUNE

— J’ai pourtant entendu parler de vos duels, colonel, hasarda Gotthold.

— Autre chose tout à fait, Monsieur, répliqua le soldat. Simple affaire d’étiquette : et, du reste, je m’en flatte, en toute fraternité chrétienne.

Là-dessus, le colonel tomba dans un sommeil profond. Ses compagnons s’entre-regardèrent en souriant.

— Drôle de corps ! fit Gotthold.

— Et singulier gardien ! ajouta le prince. Pourtant, il dit vrai.

— En y regardant de plus près, reprit Gotthold d’un air rêveur, c’est bien à nous-mêmes que nous ne pouvons pardonner, quand il nous semble si impossible de pardonner aux autres. On retrouve dans le tissu de toute querelle quelque fil de sa propre quenouille.

— Mais n’y-a-t-il pas des pardons qui déshonorent ? demanda Othon. Le respect qu’on se doit à soi-même n’impose-t-il pas une borne à la tolérance ?

— Bah ! Où est l’homme, Othon, qui se respecte sincèrement ? Aux yeux du pauvre soldat de fortune que voilà, nous semblons peut-être d’honorables gentilshommes. À nos propres yeux, que sommes-nous vraiment ? Au dehors, portiques de carton peint… au dedans, flasque deliquium, impotence mortelle !

— Moi, oui, dit Othon. Mais toi, Gotthold ? Toi, étudiant infatigable, esprit éclairé, travailleur voué au bien de tes semblables, méprisant plaisirs et tentations… Ah ! tu ne sauras jamais combien je t’envie !