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LE ROMAN DU PRINCE OTHON

velles, jusqu’aux derniers confins de l’Europe ; ici côtoyant le ressac des mers, là reflétant la lumière des cités ; et sur cet immense réseau, de toutes parts, l’armée innombrable des vagabonds et des voyageurs se mouvant comme de concert, et à cette heure tous s’approchant de l’auberge et du repos du soir !… Ces nuages tourbillonnèrent dans son esprit ; ce fut, un instant, une bouffée de désirs, un reflux de tout son sang, qui le poussaient follement à piquer des deux et à s’élancer pour toujours dans l’inconnu. Mais cela passa vite : la faim, la fatigue, et cette habitude, qu’on appelle le sens commun, d’adopter le moyen terme, reprirent le dessus. Il était sous l’empire de cette dernière humeur, quand son regard tomba tout à coup sur deux fenêtres éclairées, entre lui et la rivière.

Il prit un petit sentier pour s’en approcher, et quelques minutes plus tard il frappait du manche de son fouet à la porte d’une grosse ferme. À son appel répondit d’abord de la basse-cour un chœur d’aboiements furieux, puis bientôt apparut un grand vieillard à tête blanche, abritant de ses doigts la flamme d’une chandelle. Cet homme avait dû être en son temps d’une grande vigueur et fort beau ; mais à l’heure présente il était bien caduc ; il n’avait plus de dents, et quand il parla ce fut d’une faible voix de fausset.

— Vous me pardonnerez, j’espère, dit Othon ; je suis un voyageur et me suis complètement égaré.

— Monsieur, répondit le vieux, tremblotant et d’un air très digne, vous êtes à la ferme de la Rivière, et je suis Killian Gottesheim, pour vous servir. Nous sommes ici, Monsieur, à distance égale