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HEUREUSE INFORTUNE

côté, et entra ; il la suivit, plongé dans un étonnement superstitieux.

L’intérieur de la hutte était rude et sombre, mais sur la pierre qui servait de foyer les brindilles et quelques branches sèches brûlaient avec le crépitement animé et toutes les changeantes beautés du feu. Cette vue seule suffit pour la remettre ; elle se blottit au plus près sur le sol, frissonnant à la chaleur, et plongeant avec ravissement ses regards dans la flamme dévorante. Le bûcheron contemplait toujours l’étrangère, la ruine de ses riches vêtements, ses bras nus, ses dentelles déchirées, et les bijoux. Il ne trouvait pas un moi à dire.

— Donnez-moi à manger, dit-elle ; ici, près du feu.

Il déposa alors par terre une cruche d’un méchant vin, du pain, un morceau de fromage et une poignée d’oignons crus. Le pain était aigre et dur, le fromage comme de la corne, l’oignon même, qui avec la truffe et la nectarine partage la place d’honneur parmi les fruits de la terre, ne peut guère à l’état cru être considéré comme un mets de princesse. Pourtant elle mangea, sinon avec appétit, du moins avec courage. Et quand elle eut mangé elle ne dédaigna pas la cruche. Jamais de toute sa vie elle n’avait goûté d’une nourriture grossière ni bu après quelqu’un ; mais une femme de courage accepte toujours une position inattendue plus aisément que l’homme le plus brave. Et pendant tout ce temps le bûcheron continuait à l’observer furtivement, et l’on voyait dans ses yeux le vil conflit de la peur et de la cupidité.