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HEUREUSE INFORTUNE

elle se retournait inquiète, et regardait autour d’elle en soupirant. À quelque distance de là, plus bas dans la futaie, une colonne de fumée montait dans le ciel, pour se fondre dans l’or et l’azur. Là-bas, sans aucun doute, étaient des êtres humains, se réchauffant au foyer : des doigts humains en avaient réuni les brindilles, c’était une haleine humaine qui avait fait jaillir, qui avait soutenu la flamme naissante. En ce moment le feu, ayant pris, se jouait et se reflétait rouge sur la face de son créateur. À cette pensée elle se sentit glacée, infime et perdue au milieu de ce grand air. Le choc électrique des jeunes rayons de soleil, la beauté des bois, beauté qui n’avait rien d’humain, commençaient à la fatiguer, à l’intimider. L’abri d’une maison, la retraite d’un appartement, le foyer net et bien garni, enfin tout ce qui dénote et embellit le chez-soi de l’homme, commençait à la tirer en avant comme par une corde. La colonne de fumée pénétrant dans une zone d’air mouvant se mit à s’incliner et à s’étendre de côté comme un pennon. Alors, comme si ce changement eût été un appel, Séraphine s’enfonça de nouveau dans le labyrinthe des bois.

En quittant le terrain élevé elle laissait le grand jour derrière elle ; dans le bocage s’attardaient encore le crépuscule bleuâtre du matin et la fraîcheur saisissante de la rosée. Mais ici et là, au-dessus de ce champ d’ombre, la gloire du jour se reflétait déjà sur les cimes de quelques sapins déployés ; ici et là encore, par les brèches des collines, les rayons faisaient une grande entrée lumineuse. Séraphine suivait hâtivement les sen-