Page:Stevenson - Le Roman du prince Othon.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
223
DE L’AMOUR ET DE LA POLITIQUE

de la ville venaient à voir ce spectacle navrant… ciel ! l’État croulerait, soupira-t-il en fausset.

— Il y a une litière au palais, répondit-elle. Votre devoir est de faire mettre cet homme en sûreté. Je vous en donne l’ordre : sur votre vie, voyez à l’exécuter !

— Je le vois bien, chère Altesse, fit-il, parlant comme par hoquets. Clairement je le vois. Mais comment ? Qui trouver ? Les gens du prince… ah ! oui. Ils lui portaient affection. Ceux-là, entre tous peut-être, seront fidèles.

— Non, non, pas ceux-là ! s’écria-t-elle. Prenez Sabra, mon domestique de confiance.

— Sabra ! Le grand-maçon ! répliqua le chancelier tout épouvanté. S’il venait seulement à apprendre ceci, il ferait sonner le tocsin… Nous serions tous égorgés !

Séraphine mesura froidement la profondeur de son avilissement.

— Prenez donc qui vous pourrez, dit-elle enfin, et faites venir la litière ici !

Une fois seule, elle courut vers le baron et, le cœur soulevé de dégoût, essaya d’arrêter elle-même l’épanchement du sang. Le contact de la peau de ce grand charlatan la révoltait jusqu’au bout des pieds. À ses yeux sans expérience, la blessure semblait mortelle. Cependant elle se raidit contre le frisson, et étancha, du moins avec plus d’habileté que le chancelier, cette ouverture saignante. Des yeux moins prévenus par la haine eussent vraiment admiré le baron dans son évanouissement ; il semblait si grand, si superbement proportionné ; c’était là une si puissante machine,