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DE L’AMOUR ET DE LA POLITIQUE

ma façon de voir : le plaisir et la liberté vont de pair. Je crois ce que je crois. Ce n’est pas grand’chose, mais enfin j’y crois. Et maintenant, venons aux affaires. Vous n’avez pas lu ma lettre ?

— Non, dit-elle. J’avais mal à la tête.

— Bon. Alors j’ai des nouvelles pour vous, s’écria Gondremark. Je brûlais de vous voir, hier au soir et tout ce matin : car, hier après-midi, j’ai posé les dernières pierres de mon édifice. Le vaisseau est au port. Encore un coup d’épaule et j’en aurai fini avec mon existence de factotum auprès de la princesse Ratafia. Oui, c’est fait. J’ai l’ordre, écrit en entier de la main de Ratafia ; je le porte sur mon cœur. Ce soir, à minuit, le prince Tête-de-Plume doit être saisi dans son lit, et, comme le bambino de l’histoire, lestement enlevé dans une berline. Et pas plus tard que demain matin il sera à même de jouir d’une vue superbe et romantique du haut de son donjon de Felsenburg. Bonsoir, Tête-de-Plume ! On déclare la guerre, je tiens la dame dans le creux de ma main. Longtemps j’ai été indispensable : maintenant je serai suprême.

— Voilà longtemps, ajouta-t-il avec exultation, voilà longtemps que je porte cette intrigue sur mes épaules, comme Samson les portes de Gaza… Maintenant je laisse tomber le fardeau…

Elle s’était levée brusquement, un peu pâle :

— Est-ce vrai ? s’écria-t-elle.

— Je vous dis ce qu’il en est, assura-t-il. Le tour est joué.

— Jamais je ne croirai cela, dit-elle. Un ordre ? De sa propre main ! Non, jamais je ne croirai cela, Henri !