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une longue-vue dans ma chambre, et posais des questions aux tenanciers. Comme les contrebandiers ne se souciaient guère du secret, et qu’ils exerçaient leur métier par force autant que par ruse (du moins dans nos environs) j’eus tôt fait de connaître les signaux en usage, et je sus à une heure près quand il fallait attendre un messager. Je questionnai, dis-je, les tenanciers ; car, avec les fraudeurs eux-mêmes, affreux gredins qui allaient toujours armés, j’aurais difficilement pris sur moi de me frotter à eux. En fait (et la circonstance, par la suite, fut heureuse), j’étais un objet de risée pour quelques-uns de ces bravaches. Non seulement ils m’avaient gratifié d’un sobriquet, mais ils m’attrapèrent un soir dans un chemin de traverse, et comme ils étaient tous (selon leur expression) un peu gais, ils me contraignirent à danser pour leur amusement. La méthode employée consistait à taillader les bouts de mes chaussures avec leurs coutelas nus, en criant : « Bouts-carrés ! » Je n’en subis aucun mal physique, mais n’en fus pas moins déplorablement affecté, et dus garder le lit plusieurs jours : – scandaleux échantillon de l’état de l’Écosse, sur lequel il est inutile d’insister.

Dans l’après-midi du 7 novembre de cette malheureuse année, il m’arriva, tout en me promenant, de remarquer un feu sur le Muckleross. L’heure de mon retour approchait ; mais j’avais l’esprit si inquiet ce jour-là que, m’élançant à travers les buissons, j’escaladai la pointe nommée Craig Head. Le soleil était déjà couché, mais il subsistait à l’occident une vaste luminosité qui me laissa voir sur le Ross quelques contrebandiers occupés à entretenir leur signal et, dans la baie, le lougre immobile sous sa voilure carguée. Celui-ci venait évidemment de jeter l’ancre, mais la yole était déjà mise à l’eau, et faisait force de rames vers le débarcadère à l’extrémité de la grande charmille. Et cela, je le savais, ne pouvait signifier qu’une chose : la venue d’un messager à Durrisdeer.

Oubliant mes autres craintes, je dévalai la pente abrupte – où je ne m’étais jamais aventuré – et