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offrir un plus digne, car Mr. Henry ne devait pas se faire voir avec les contrebandiers. C’était une matinée de vent très âpre et, comme nous descendions sous la grande charmille, le colonel s’emmitoufla dans son manteau.

– Monsieur, dis-je, c’est une grosse somme d’argent que réclame votre ami. Je suppose qu’il a de très grands besoins.

– Supposons-le, dit-il (un peu sèchement, pensai-je, mais c’était peut-être à cause du manteau sur sa bouche).

– Je ne suis que le serviteur de la famille, repris-je. Vous pouvez causer sans détours avec moi. Je pense que nous n’avons pas grand-chose de bon à espérer de lui ?

– Mon cher ami, dit le colonel, Ballantrae est un gentilhomme des plus hautes capacités naturelles, et je l’admire et le révère jusqu’à la semelle de ses bottes.

Et alors, il me parut qu’il rencontrait une difficulté.

– Mais, malgré tout, dis-je, nous n’avons pas grand-chose de bon à espérer de lui ?

– Pour sûr, et vous avez raison de le croire, mon cher ami, dit le colonel.

Nous étions arrivés au bord de la crique où le canot l’attendait.

– Eh bien, dit-il, je reste à coup sûr votre débiteur pour vos civilités, Mr. Quel-est-votre-nom ; et pour dernier mot, et puisque vous montrez une curiosité si intelligente, je vous confierai un petit détail qui peut servir à la famille. Car je crois que mon ami a oublié de mentionner que le Secours-Écossais lui sert une pension plus forte qu’à aucun réfugié de Paris, et le plus honteux, Monsieur, ajouta-t-il en s’échauffant, – c’est qu’ils n’ont pas un traître sou pour moi !

Il mit son chapeau de côté en me regardant, comme s’il me rendait responsable de cette injustice ; puis il revint à son habituel excès de politesse, me serra la main, et descendit vers le canot, son argent sous le bras, et sifflant l’air pathétique de Shule Aroon. C’était la première fois que j’entendais cet air ; je devais