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et, un instant plus tard, nous filions sur la baie avec une bonne brise, bénissant Dieu de notre délivrance. Presque à l’entrée de l’estuaire, nous dépassâmes le croiseur et, un peu plus loin, la pauvre Sarah avec son équipage de prise ; et la vue de ces deux navires était bien propre à nous faire trembler. Sur le bermudan, toutefois, nous étions saufs et la réussite de notre coup d’audace nous parut plus heureuse, de nous rappeler ainsi le sort de nos compagnons. Malgré cela, nous n’avions guère que changé de piège, sauté de la poêle à frire dans le feu, couru de la vergue au billot, et fui l’hostilité ouverte du vaisseau de guerre, pour nous en remettre à la bonne foi douteuse de notre marchand albanien.

Plusieurs circonstances nous démontrèrent bientôt que nous étions plus en sûreté qu’on ne pouvait l’espérer. Les gens d’Albany, à cette époque, s’occupaient beaucoup de la contrebande, à travers le désert, avec les Indiens et les Français. Ces trafics illégaux relâchaient leur loyauté et, les mettant en relations avec le peuple le plus policé de la terre, divisaient leurs sympathies. Bref ils étaient comme tous les contrebandiers du monde, espions et agents tout prêts pour l’un et l’autre parti. Notre Albanien, en outre, était un homme vraiment honnête et très avide ; et pour mettre le comble à notre chance, il prit beaucoup de goût à notre société. Avant d’avoir atteint la ville de New York, nous avions fait une convention ferme, qu’il nous emmènerait sur son navire jusqu’à Albany, et de là nous mettrait sur le chemin pour gagner les frontières et les établissements français. Pour tout cela, nous eûmes à payer un bon prix ; mais ce ne sont pas les mendiants qui choisissent, ni les hors-la-loi qui dictent les marchés.

Nous remontâmes donc la rivière d’Hudson, un très beau fleuve, à mon avis, et descendîmes aux « Armes royales » en Albany. La ville regorgeait des milices de la province qui ne respiraient que massacre contre les Français. Le gouverneur Clinton, un personnage très actif, y était aussi et, d’après ce que j’entendis, l’esprit