Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/64

Cette page n’a pas encore été corrigée

était assez pour nous amener tout le pays. La querelle ne fut pas simplement interrompue : elle nous sortit de l’esprit ; en un clin d’œil, nos ballots étaient refaits et nous repartis, courant de la meilleure volonté du monde. Mais le malheur fut que nous ne connaissions pas le chemin, et qu’il nous fallut sans cesse retourner sur nos pas. Ballantrae avait en effet tiré de Dutton tous les renseignements possibles, mais il n’est pas aisé de voyager par ouï-dire ; et l’estuaire, qui forme un vaste havre irrégulier, nous présentait de tous côtés une nouvelle étendue d’eau.

Nous en perdions la tête et n’en pouvions plus de courir, lorsque, arrivant au haut d’une dune, nous nous vîmes encore une fois coupés par une autre ramification de la baie. Cette crique-ci, toutefois, était très différente de celles qui nous avaient arrêtés auparavant ; elle était formée par des rochers si abruptement taillés qu’un petit navire avait pu aborder tout contre, et s’y amarrer ; même, son équipage avait disposé une planche pour accéder au rivage. Là auprès, ils étaient assis, autour d’un feu, à manger. Quant au navire, c’était un de ceux que l’on construit aux Bermudes.

La soif de l’or et la grande haine que chacun nourrit envers les pirates étaient bien de quoi lancer tout le pays à nos trousses. De plus, nous n’étions maintenant que trop certains de nous trouver sur une sorte de presqu’île découpée à l’instar des doigts de la main ; et le poignet, c’est-à-dire l’accès à la terre ferme, que nous aurions dû suivre tout d’abord, était à cette heure probablement gardé. Ces considérations nous firent prendre un parti des plus téméraires. Aussi longtemps que nous l’osâmes, nous attendant sans cesse à percevoir des bruits de poursuite, nous restâmes couchés derrière les buissons, sur la dune. Puis, ayant repris haleine, et un peu plus présentables, nous descendîmes enfin, affectant un air très détaché, vers la compagnie assise auprès du feu.

C’étaient un trafiquant et ses nègres, du port d’Albany, dans la province de New York, qui revenaient des Indes, avec une cargaison ; – je ne puis me