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que n’importe quel lord d’Écosse, et je confesse sans nulle honte que je demeurai jusqu’à la fin Pat-le-Violoneux, et que je ne valais guère mieux que le bouffon de l’équipage. En somme, ce n’était pas un théâtre propice à manifester mes talents. Ma santé souffrait pour divers motifs ; je me suis toujours trouvé mieux à ma place sur un cheval que sur un pont de navire ; et, pour être franc, la crainte de la mer, alternant avec celle de mes compagnons, affligeait sans cesse mon esprit. Je n’ai pas besoin de rappeler mon courage : je me suis vaillamment comporté en maintes batailles, sous les yeux de généraux illustres, et j’ai mérité mon dernier avancement par un haut fait des plus remarquables, exécuté devant de nombreux témoins. Mais lorsqu’il nous fallait procéder à un abordage, le cœur défaillait à Francis Burke ; la petite coquille de noix dans laquelle je devais embarquer, l’effroyable dénivellation des lames, la hauteur du navire à escalader, la pensée qu’il pouvait y avoir là-haut une nombreuse garnison en état de légitime défense, le ciel tempétueux qui (sous le climat) étalait si souvent sur nos exploits sa sombre menace, et jusqu’au hurlement du vent dans mes oreilles, étaient toutes conditions fort déplaisantes à ma valeur. En outre, comme je fus toujours de la plus exquise sensibilité, les scènes qui devaient suivre notre succès me tentaient aussi peu que les chances de défaite. Par deux fois, il se trouva des femmes à bord ; et j’ai beau avoir assisté à des sacs de ville, et dernièrement, en France, aux plus affreux excès populaires, il y avait dans le petit nombre des combattants, et dans les dangers de cette immensité de mer à l’entour de nous, un je ne sais quoi qui rendait ces actes de piraterie infiniment plus révoltants. J’avoue franchement qu’il me fut toujours impossible de les exécuter avant d’être aux trois quarts ivre. Il en allait de même pour l’équipage ; Teach en personne n’était bon à rien, s’il n’était gorgé de rhum ; et la fonction de Ballantrae la plus délicate consistait à distribuer les liqueurs en juste quantité. Cela même, il s’en tirait à la perfection, car il