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moins capables. Le vent soufflait avec fureur, et la mer était excessivement grosse. Tout ce jour, il nous fut impossible de boire ni de manger ; nous allâmes nous coucher de bonne heure, non sans inquiétude ; et (comme pour nous donner une leçon) dans la nuit le vent passa subitement au nord-est, et se mit à souffler en ouragan. Nous fûmes éveillés par l’effroyable fracas de la tempête, et les pas précipités des matelots sur le pont ; de sorte que je crus notre dernière heure arrivée ; et ma terreur s’accrut démesurément à voir Ballantrae railler mes dévotions. C’est en des heures comme celle-là qu’un homme de pitié apparaît sous son vrai jour, et que nous découvrons (ce qu’on nous enseigne dès notre plus jeune âge) quelle faible confiance on peut mettre en ses amis profanes : je serais indigne de ma religion si je laissais passer l’occasion de faire cette remarque. Pendant trois jours nous restâmes dans l’obscurité de la cabine, sans autre chose qu’un peu de biscuit à grignoter. Le quatrième jour, le vent tomba, laissant le navire démâté et se balançant sur d’énormes lames. Le capitaine n’avait aucun soupçon des parages où nous avions été chassés ; il ignorait parfaitement son métier, et ne savait faire autre chose qu’invoquer la sainte Vierge : excellente pratique, certes, mais qui n’est pas tout le talent du marin. Nous avions pour unique espoir d’être recueillis par un autre navire ; mais s’il arrivait que ce navire fût anglais, cela ne profiterait guère au Maître ni à moi.

Les cinquième et sixième jours, nous fûmes ballottés sans remède. Le septième, on hissa de la toile, mais le navire était lourd, et nous ne fîmes guère que dériver. Tout le temps, en effet, nous avions porté vers le sud-ouest, et, durant la tempête, nous avions dû être entraînés dans cette direction avec une violence inouïe. Le neuvième jour se leva froid et sombre, avec une grosse mer et tous les symptômes du mauvais temps. Dans cette situation, nous eûmes le ravissement d’apercevoir à l’horizon un petit navire, et de voir qu’il s’approchait et venait droit sur la Sainte-Marie. Mais notre joie ne fut pas de longue durée, car lorsqu’il fut