Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/44

Cette page n’a pas encore été corrigée

Anges, du Havre de Grâce. Le Maître, après avoir appelé par signaux une embarcation, me demanda si je connaissais le capitaine. Je lui répondis que c’était un mien compatriote de la plus entière probité, mais, je le craignais, assez timoré.

– Peu importe, dit-il. Malgré tout, il faut qu’il sache la vérité.

Je lui demandai s’il voulait parler de la bataille ? car si le capitaine apprenait le mauvais état des affaires, nul doute qu’il ne remît à la voile aussitôt.

– Et quand bien même ! dit-il ; les armes ne sont plus d’aucune utilité à présent.

– Mon cher ami, dis-je, qui pense aux armes ? Ce sont nos amis dont il faut se souvenir. Ils doivent être sur nos talons, voire le Prince en personne, et, si le navire est parti, voilà maintes existences précieuses en péril.

– À ce compte, le capitaine et l’équipage ont aussi leurs existences, dit Ballantrae.

Il me servait là un faux-fuyant, déclarai-je ; et je ne voulais toujours pas qu’il dît rien au capitaine. Ce fut alors que Ballantrae me fit une réponse spirituelle, à cause de quoi (et aussi parce que l’on m’a blâmé pour cette affaire de la Sainte-Marie-des-Anges) je rapporte ici nos paroles textuelles.

– Francis, dit-il, rappelez-vous notre pacte. Je n’ai rien à objecter à ce que vous teniez votre langue, ce que je vous engage même à faire par la suite ; mais, d’après nos conventions, vous devez me laisser libre de parler.

Je ne pus m’empêcher de rire ; mais je persistai à l’avertir de ce qui en sortirait.

– Que le diable en sorte, peu m’en chaut, dit l’enragé garçon. J’ai toujours exactement suivi mes impulsions.

Comme chacun sait, ma prédiction se réalisa. Le capitaine n’eut pas plus tôt appris les nouvelles, qu’il coupa son amarre et reprit la mer. Avant l’aube, nous étions dans le Grand Minch.

Le navire était très vieux ; et le capitaine, encore que très honnête homme (et Irlandais en outre), était des