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marché de ses vertus, lorsqu’il les retrouvait chez un de ses maîtres. Macconochie eut vite fait de flairer mon inclination secrète, il me mit dans ses confidences, et déblatéra contre le Maître, des heures d’affilée, au point que mon travail en souffrait.

– Ils sont toqués, ici, s’écriait-il, et qu’ils soient damnés ! Le Maître… le diable les étouffe, de l’appeler ainsi ! c’est Mr. Henry qui doit être le maître, à cette heure ! Ils n’étaient pas tellement férus du Maître, quand ils l’avaient ici, je vous le garantis. Malheur sur son nom ! Jamais une bonne parole ne sortait de ses lèvres, pour moi ni pour personne ; rien que railleries, réprimandes et jurons profanes, – le diable soit de lui ! Personne n’a connu toute sa méchanceté : lui un gentilhomme !… Avez-vous jamais entendu parler, Mr. Mackellar, de Willy White le tisserand ? Non ? Eh bien, Willy était un homme singulièrement pieux ; un assommant individu, pas du tout dans mon genre, et je n’ai jamais pu le supporter ; seulement, il avait beaucoup de savoir-faire dans sa partie, et il sut tenir tête au Maître et le gourmander à plusieurs reprises. C’était un haut fait, pour le Maître de Ballantrae, d’entretenir une bisbille avec un tisserand, n’est-ce pas ?

Et Macconochie ricanait. En fait, il ne prononçait jamais le nom tout entier sans une espèce de râle haineux.

– Eh bien, il le fit. Jolie occupation ! d’aller beugler à la porte de cet homme, lui crier : Boû ! dans le dos, mettre de la poudre dans son feu, et des pétards sur sa fenêtre ; tant que notre homme se figurait que c’était le vieux Cornu qui venait le chercher. Eh bien, pour abréger, Willy s’affecta. En fin de compte, on ne pouvait plus le faire lever de ses genoux, il ne cessait de prier avec de grands éclats, jusqu’à ce qu’il en mourût. Ce fut un meurtre véritable, de l’avis de chacun. Demandez à John-Paul : – il était franchement honteux d’un pareil jeu, lui, le bon chrétien ! Quel haut fait pour le Maître de Ballantrae !

Je lui demandai ce que le Maître lui-même en pensait.