exprimait un degré pénible de fureur au lieu de cet affreux désespoir qui l’avait toujours (sauf une fois, comme je l’ai dit) caractérisé dans cette vision. Telle est la vérité que le public doit enfin connaître ; et si les divergences sont considérables, la coïncidence suffit à m’emplir de malaise. Tout l’après-midi, je le répète, je restai à méditer sur ce sujet, à part moi ; car Mylady en avait assez de ses ennuis, et il ne me serait jamais venu à l’idée de la tourmenter avec mes imaginations. Vers le milieu de notre attente, elle conçut un plan ingénieux, fit chercher Mr. Alexander, et lui dit d’aller frapper à la porte de son père. Mylord envoya promener le gamin, mais sans aucune rudesse, et l’espoir me vint que l’accès était passé.
Comme la nuit tombait, et que j’allumais la lampe, la porte s’ouvrit et Mylord apparut sur le seuil. La lumière trop faible ne permettait pas de discerner ses traits ; quand il parla, sa voix me sembla un peu altérée, quoique parfaitement posée.
– Mackellar, dit-il, portez vous-même ce billet à son adresse. Il est rigoureusement personnel. Il vous faut le remettre sans témoins.
– Henry, dit Mylady, vous n’êtes pas malade ?
– Non, non, dit-il, d’un ton agacé, je suis occupé. Pas du tout ; je suis simplement occupé. C’est une chose singulière qu’on veuille vous croire malade, quand vous avez des affaires ! Envoyez-moi à souper dans ma chambre, avec un panier de vin : j’attends la visite d’un ami. Pour rien autre chose, je ne veux être dérangé. Et là-dessus il se renferma de nouveau chez lui.
Le billet portait l’adresse d’un certain capitaine Harris, à une taverne du port. Je connaissais Harris (de réputation) pour un dangereux aventurier, véhémentement soupçonné de piraterie dans le passé, et faisant alors le dur métier de trafiquant indien. Ce que Mylord pouvait bien avoir à lui dire, ou lui à dire à Mylord, cela passait mon imagination ; et non plus comment Mylord avait ouï parler de lui, sinon à l’occasion d’un procès peu honorable dont cet homme s’était récem-