elle y discernait, je pense, un reproche secret ; et même je l’ai vue, dans les premiers temps, quitter la chambre afin de pouvoir pleurer sans contrainte. À mes yeux, toutefois, cette modification ne paraissait pas naturelle ; et lorsque je la considère avec le reste, j’en viens à me demander, mélancoliquement, si sa raison était tout à fait intacte.
Comme ce doute s’est prolongé pendant plusieurs années, qu’il a duré. en somme jusqu’au décès de mon maître, et a influé sur nos relations ultérieures, je dois l’examiner plus au long. Lorsque Mr. Henry fut en état de reprendre un soin partiel de ses affaires, j’eus maintes occasions de mettre à l’épreuve son exactitude. Il n’y avait pas défaut de compréhension, ni de volonté ; mais l’intérêt soutenu de jadis s’était entièrement évanoui ; il se fatiguait vite, et se mettait à bâiller ; en outre, il apportait dans les relations pécuniaires, où elle est certes très déplacée, une facilité qui confinait à la négligence. Au vrai, comme nous n’avions plus à lutter contre les exactions du Maître, il n’y avait plus de raison pour ériger la parcimonie en principe, ou batailler à propos d’un farthing. Au vrai encore, ce relâchement n’avait rien d’excessif, sinon j’y aurais refusé ma complicité. Mais il révélait, en somme, un changement très léger quoique fort perceptible ; et si l’on n’avait pas le droit de dire que mon maître eût perdu la raison, indéniablement son caractère s’était altéré. Il fut le même jusqu’à la fin, dans ses manières et son apparence, il lui restait dans les veines comme une chaleur de la fièvre, qui précipitait un peu ses mouvements, et faisait son discours notablement plus volubile, sans aller toutefois jusqu’à le rendre confus. Tout son être s’épanouissait aux impressions agréables, qu’il accueillait avec délices ; mais la moindre apparence de tracas ou de peine éveillait en lui une impatience visible, et il s’en débarrassait au plus vite. Ce fut à cette humeur qu’il dut la félicité de ses derniers jours ; et pourtant ce fut alors, ou jamais, qu’on eût pu l’appeler insensé. Un grand point dans la vie consiste à prévoir ce qu’il est impossible d’éviter ;