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que le Prince ait le dessus, il vous sera facile de faire votre paix avec le roi Jacques. Mais si vous partez, et que l’expédition avorte, nous séparons le droit du titre. Et que serai-je, alors ?

– Vous serez Lord Durrisdeer, dit le Maître. Je mets sur table tout ce que je possède.

– Je ne joue pas un pareil jeu, s’écria M. Henry. Je me trouverais dans une situation que pas un homme d’honneur ne consentirait à supporter. Je ne serais ni chair ni poisson ! – ajouta-t-il. Et, peu après, il eut une autre expression, peut-être plus claire qu’il ne voulait : – C’est votre devoir d’être ici auprès de mon père, dit-il. Vous savez bien que vous êtes le favori.

– En vérité ? dit le Maître. Voilà l’envie qui parle ! Prétendriez-vous me supplanter… Jacob ? dit-il, en appuyant sur le mot avec malice.

Mr. Henry se leva sans répondre, et arpenta le bas bout de la salle, car il avait une faculté de silence admirable. Puis il s’en revint.

– Je suis le cadet, et je dois partir, dit-il. Mylord ici présent est le maître, et il dit que je partirai. Qu’avez-vous à répondre, mon frère ?

– J’ai à répondre ceci, Harry, répliqua le Maître. Lorsque des gens très obstinés se heurtent, il n’y a que deux moyens d’en sortir : se battre – et je crois bien que ni l’un ni l’autre ne voulons aller jusque-là – ou s’en rapporter au sort. Voici une guinée. Acceptez-vous la décision de la pièce ?

– J’en accepte le risque, dit Mr. Henry. Face, je pars ; pile, je reste.

La pièce fut jetée. Elle retomba pile.

– Voici une leçon pour Jacob, dit le Maître.

– Toute notre vie, nous nous en repentirons ! dit Mr. Henry.

Et il quitta aussitôt la salle.

Quant à Miss Alison, elle ramassa la pièce d’or qui venait d’envoyer son fiancé à la guerre, et la projeta au travers du blason de la famille qui décorait la grande verrière de la fenêtre.