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L’ÎLE AU TRÉSOR

trouvé un gamin comme apprenti, si bien qu’elle ne resterait pas seule durant mon absence.

C’est à la vue de ce garçon que je commençai à comprendre ma situation. Jusque-là j’avais pensé uniquement aux aventures qui m’attendaient, et non à la demeure que je quittais ; aussi, en voyant ce gauche étranger destiné à tenir ma place auprès de ma mère, j’eus ma première crise de larmes. J’ai bien peur d’avoir fait une vie de chien à ce garçon, car, étant neuf au travail, il m’offrit mille occasions de le réprimander et de l’humilier, et je ne manquai pas d’en profiter.

La nuit passa, et le lendemain, après dîner, Redruth et moi nous remîmes en route. Je dis adieu à ma mère, à la crique où j’avais vécu depuis ma naissance, et au cher vieil Amiral Benbow… un peu moins cher toutefois depuis qu’il était repeint. L’une de mes dernières pensées fut pour le capitaine, qui avait si souvent rôdé sur la grève avec son tricorne, sa balafre et sa vieille lunette de cuivre. Un instant plus tard, nous prenions le tournant, et ma demeure disparaissait à mes yeux.

Vers le soir, la malle-poste nous prit au Royal George, sur la lande. J’y fus encaqué entre Redruth et un gros vieux monsieur, mais en dépit de notre course rapide et du froid de la nuit, je ne tardai point à m’assoupir, et dormis comme une souche par monts et par vaux et de relais en relais. Une bourrade dans les côtes me réveilla enfin, et je m’aperçus en ouvrant les yeux qu’il faisait grand jour et que nous étions arrêtés en face d’un grand bâtiment, dans une rue de ville.

— Où sommes-nous ? demandai-je.

— À Bristol, répondit Tom. Descendez.

M. Trelawney avait pris pension à une auberge située au bout des bassins, pour mieux surveiller le