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L’ÎLE AU TRÉSOR

qu’il est ici, et vous tirez au flanc ! Pas un de vous n’eût osé affronter Bill, et je l’ai affronté, moi un aveugle ! Et je perdrais ma chance à cause de vous ! Je ne serais qu’un pauvre abject, mendiant un verre de rhum, alors que je pourrais rouler carrosse ! Si vous aviez seulement le courage d’un cancrelat qui ronge un biscuit, vous les auriez déjà empoignés.

— Au diable, Pew ! grommela l’un. Nous tenons les doublons !

— Ils auront caché ce sacré machin, dit un autre. Prends les georges[1], Pew, et ne reste pas ici à beugler.

C’était le cas de le dire, tant la colère de Pew s’exaltait devant ces objections. À la fin, la rage le domina tout à fait ; il se mit à taper dans le tas au hasard, et son bâton résonna sur plusieurs crânes. De leur côté, les malandrins, sans pouvoir réussir à s’emparer de l’arme et à la lui arracher, agonisaient leur tyran d’injures et d’atroces menaces.

Cette rixe fut notre salut. Elle durait toujours, lorsqu’un autre bruit se fit entendre, qui provenait de la hauteur du côté du hameau — un bruit de chevaux lancés au galop. Presque en même temps, l’éclair et la détonation d’un coup de pistolet jaillirent d’une haie. C’était là, évidemment, le signal du sauve-qui-peut, car les flibustiers prirent la fuite aussitôt et s’encoururent chacun de son côté, si bien qu’en une demi-minute ils avaient tous disparu, sauf Pew. L’avaient-ils abandonné dans l’émoi de leur panique ou bien pour se venger de ses injures et de ses coups ? Je l’ignore. Le fait est qu’il demeura seul, affolé, tapotant au hasard sur la route, cherchant et appelant ses camarades. Finalement il prit la mauvaise direction et courut vers le

  1. Les livres sterling, à l’effigie du roi Georges.