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LE VIEUX FLIBUSTIER

Mais, en dépit de sa frayeur, ma mère se refusait à prendre rien au-delà de son dû, et ne voulait absolument pas se contenter de moins. Il n’était pas encore sept heures, disait-elle, et de loin ; elle connaissait son droit et voulait en user. Elle discutait encore avec moi, lorsqu’un bref et léger coup de sifflet retentit au loin sur la hauteur. C’en fut assez, et plus qu’assez, pour elle et pour moi.

— J’emporte toujours ce que j’ai, fit-elle en se relevant.

— Et j’emporte ceci pour arrondir le compte, ajoutais-je, empoignant le paquet de toile cirée.

Un instant de plus, et laissant la lumière auprès du coffre vide, nous descendions l’escalier à tâtons ; un autre encore, et, la porte ouverte, notre exode commençait. Il n’était que temps de déguerpir. Le brouillard se dissipait rapidement ; déjà la lune brillait, tout à fait dégagée, sur les hauteurs voisines, et c’était uniquement au creux du ravin et devant la porte de l’auberge, qu’un mince voile de brume flottait encore, pour cacher les premiers pas de notre fuite. Bien avant la mi-chemin du hameau, très peu au-delà du pied de la hauteur, nous arriverions en plein clair de lune. Et ce n’était pas tout, car déjà nous percevions le bruit de pas nombreux qui accouraient. Nous tournâmes la tête dans leur direction : une lumière balancée de droite et de gauche, et qui se rapprochait rapidement, nous montra que l’un des arrivants portait une lanterne.

— Mon petit, me dit soudain ma mère, prends l’argent et fuis. Je vais m’évanouir.

C’était, je le compris, la fin irrémissible pour tous deux. Combien je maudissais la lâcheté de nos voisins ! Combien j’en voulais à ma pauvre mère pour son honnêteté et son avidité, pour sa témérité passée et sa faiblesse présente !